Les jouisseurs de Sigolène Vinson : un double récit envoûtant teinté de mystère

Sigolène Vinson
Paru le 23 août aux éditions de L'Observatoire
192 pages

Découverte totale de l’univers de Sigolène Vinson. Bien sûr je la connais de nom et de réputation alors il ne m’a pas fallu bien longtemps pour succomber à la lecture de son dernier roman Les jouisseurs.


Olivier, ex-commerçant de modélisme ferroviaire désormais écrivain, est confronté au drame de la page blanche. Pour tenter de résoudre ce problème, il se rend au musée d’Art et d’Histoire de Neuchâtel et vole L’Ecrivain, un automate datant du XVIIIe siècle.
Sa femme, Eléonore, consultante pour un laboratoire pharmaceutique, shootée aux psychotropes, construit chaque nuit, par le biais de L’Ecrivain, un nouveau chapitre d’un roman intitulé La Caravane Wintherlig dans lequel deux jouisseurs Ole et Léonie, arpentent le désert marocain à l’époque de Lyautey pour vendre leur alcool aux soldats, habitants ou nomades. Toujours à deux jours de distance, pour ne pas perdre la totalité de leur cargaison en cas de problème. 
Pendant qu’elle est entrain de composer un roman issu de ses hallucinations loufoques, Olivier, lui, ne sait que poser sur le papier une notice. Celle de L’Ecrivain. Parce que oui, il a été volé sans mode d’emploi, le comble! Mais cette notice parlera-t-elle vraiment de l’automate en bois ou finalement des automates que nous sommes toutes et tous ? Les délires fantasques d’Eléonore suffiront-ils à la maintenir la tête hors de l’eau face à l’addiction ? Olivier parviendra-t-il à rester impuni pour le vol ? Tout ce beau monde, continuera-t-il finalement à jouir face à la cruauté du monde ?
“ Quand l'être humain, pour exister, réclame autre chose que l'air et l'eau, c'est que plus rien ne tourne rond. À exiger l'air, septentrional, et l'eau, sous sa forme solides, la tenue de route d'Éléonore laisse à désirer.
Allez, un deuxième cachet pour rétablir l'équilibre. ”
Quel curieux voyage nous amène à vivre Sigolène Vinson en compagnie de ces quatre jouisseurs. Un curieux voyage à travers les époques, entre le XXIe siècle d’Eléonore et Olivier et le XIXe de ces contrebandiers et profiteurs de guerre que sont Ole et Léonie. Mais tous les quatre, derrière les apparences d’amour qui les unissent, sont habités par de profondes solitudes et mélancolie et chercheront, chacun à leur manière, à les rejeter pour tenter d’accéder au bonheur et à la jouissance à tout prix. 

Dis comme cela, ça ne prête pas à la franche rigolade et pourtant là est tout le talent de Sigolène Vinson : réussir avec une déconcertante facilité et maîtrise à imbriquer le tragique à l’absurdité des situations et réactions pour offrir une sorte de conte moderne et poétique derrière lequel se cache le réalisme de notre société, de nos désirs, de nos douleurs enfouies. Les chapitres extrêmement courts donnent à découvrir un style déroutant et épuré qui rend ce roman tout à fait fascinant, dont on se surprend à être arrivé aux chapitres finaux en un rien de temps, avec un goût de trop peu dans le cœur. Personnellement, j’aurai aimé continuer à voyager dans cet arc-en-ciel de sentiments, oscillant entre éclaircies et orages, entre rire et gravité. 
“ Le spectacle du chagrin est tordant pour celui dont le sang est gorgé d'une substance qui rend heureux. Olivier qui s'affaisse au milieu des boîte de modélisme béantes, c'est le gag de trop. ”
Une chose est sûre, après avoir refermé ce troublant mais néanmoins sublime roman, nombre de questions viennent envahir l’esprit. Et il n’est pas improbable d’avoir envie de relire une deuxième fois Les jouisseurs pour essayer d’y trouver les réponses. Mais y en a-t-il seulement ?



Une lecture dans le cadre de ma sélection rentrée littéraire 2017 comprenant également : 

Un funambule sur le sable de Gilles Marchand
"Je me promets d'éclatantes revanches" de Valentine Goby
Une histoire des abeilles de Maja Lunde
Pour te perdre un peu moins de Martin Diwo
Système d'Agnès Michaux
Le camp des autres de Thomas Vinau
Demain sera tendre de Pauline Perrignon
La ville sans juifs de Hugo Bettauer
Le livre que je ne voulais pas écrire de Erwan Larher
L'invention des corps de Pierre Ducrozet
Ces rêves qu'on piétine de Sébastien Spitzer
Et bien d'autres encore ...

Commentaires

  1. Ca donne envie de lire ce roman, je ne connaissais pas du tout et j'évite de m'approcher de la rentrée littéraire des grands formats parce que je ne peux pas me permettre de les acheter :( mais je note le titre quand il sortira en poche !

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    1. Je comprends, ça peut vite devenir un gouffre lorsqu'il s'agit d'un très bon cru comme semble l'être cette rentrée. Tu fais bien de le noter, c'est un univers particulier mais qui mérite tellement que l'on plonge dedans.

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  2. Entièrement d'accord avec ta chronique. En effet ce roman nécessite à mon avis une seconde relecture.

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    1. Nicole a même raison lorsqu'elle dit qu'il mérite plusieurs relecture selon les périodes de notre vie.

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  3. C'est la première fois que je vois ce livre passer parmi ceux de la Rentrée littéraire, et ce que tu dis me donne envie de me pencher sur son histoire qui a l'air originale et décalée mais profonde.

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    1. L'univers dans lequel on évolue est effectivement décalé. Il faut effectivement mettre de côté la première impression que l'on a en démarrant le roman. Il faut oser lâcher prise, et l'envolée ne sera que plus belle et plus forte :-)

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  4. Ah oui, ça fait cogiter, hein ? Tellement de facettes que l'on peut à mon avis trouver de nouvelles réponses à chaque lecture mais compte-tenu du fait que nos questions ne seront pas les mêmes à chaque étape de notre vie... C'est une histoire sans fin :-)

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    1. Tu as totalement raison, c'est un roman qui nous apparaîtra de manière totalement différente selon les étapes de notre vie. Et c'est ça qui le rend encore plus beau et fort !

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  5. Nicole et toi savez donner envie !

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  6. Bon, je me le note dans un coin pour un mois où je ne saurais pas sur quoi écrire dans le cadre de mes "hommages du 7" à thématique "Charlie Hebdo"... Mais en général (et même s'il y a déjà eu quelques exceptions!), j'y chronique plutôt des essais que des romans.
    (s) ta d loi du cine, "squatter" chez dasola

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