Système de Agnès Michaux : un roman subtil aux frontières du bien et du mal

Agnès Michaux
Paru en septembre 2017 aux éditions Belfond
288 pages

Découverte il y a un an avec son roman Journée exceptionnelle du déclin de Samuel Cramer, Agnès Michaux m’avait littéralement envoutée avec son univers, avec ces mots à fleur de cœur, cette mélancolie Baudelairienne qui s’insinue dans vos veines. D’un roman elle avait réussi à créer cette sensation que l’on a en lisant un poème. Un poème de 196 pages. 


Ce roman m’avait fait un tel effet, qu’il était évident que je ne pouvais passer à côté de son nouveau titre Système. Système un seul mot, aux mille significations. Cette fois, l’histoire est totalement différente, mais le fond reste celui de l’amour, viscéral. Maternel. Filial. 

Le roman s’ouvre sur une scène choc, empruntée à Camus. Une mère de famille, dans sa maison de vacances. Eva est seule. Eva est nue, au bord du bassin. Profitant du calme et de la sérénité. Une ombre s’approche d’elle, elle connaît cette silhouette. « Ah, c’est toi ! ». Silence. Action. Le coup de bêche lui est fatal. 
Marisa et Paul sont orphelins de mère. Leur père quant à lui, on comprend qu’il ne s’est jamais remis de la mort de sa femme. Ils ont grandi, sans le pilier. Paul, lui n’a plus aucun souvenir de l’époque où Eva était encore vivante. Sa mort a effacé son enfance et son bonheur. Trente ans plus tard, l’assassin sort de prison, il a purgé sa peine. Comment vivre alors que le meurtrier est libre ? Entre vengeance et culpabilité, Marisa et Paul vont avoir à faire un choix. Si Paul semble prêt à passer à l’action, Marisa, elle, semble sombrer doucement dans la folie. 
C’est alors qu’ils s’envolent vers l’Afrique, l’Ethiopie, le Djibouti, le Nil, profiter de la douceur des grands hôtels. Oublier le passé. Tenter de réapprendre à vivre avec leurs démons, leurs fantômes. C’est le voyage de la découverte, de la rencontre avec Rimbaud mais aussi avec le passé colonial de la France et la guerre civile qui fait rage. C’est une fresque du monde où le passé ressurgit, hante. Où tout ce que l’on pensait aboli reprend vie. 
“ Y avait-il d’ailleurs jamais eu de belles époques ? Il y en avait bien une qu’on appelait ainsi, sans doute avec une ironie cachée, car que pouvait-il y avoir de beau à foncer bille en tête vers la Grande Guerre, à baisser son fric devant le dieu argent, à défoncer les Chinois à coup d’opium, à descendre des enfants au fond de la mine, à s’engraisser sur le dos d’un monde qui ne s’en remettrait jamais ? Certaines époques, pas forcément paisibles, avaient sans doute produit plus de beauté que d’autres. Certaines époques avaient même eu un véritable sens du style. La nôtre l’avait moins. Mais le beau était comme une eau souterraine. Une infime anfractuosité de terrain pouvait suffire à la faire surgir. Sauf qu’on n’avait peut-être pas besoin de beau aujourd’hui, seule de juste. Tout le reste renaîtrait de là. ”
Il est toujours difficile de résumer l’univers d’Agnès Michaux, parce qu’il est un enchevêtrement d’actions, de temps, de sentiments si complexes que l’on ne sait jamais où se trouve le commencement et où se situe la fin. 
Ce roman est la mise en exergue de ce système centrale qu’est celui de la vie mais qui tel un tentacule se multiplie en d’autres systèmes. Celui de la société, de la justice. Celui du système nerveux. Celui du corps, des liens ambigus, fusionnels qui peuvent parfois mettre mal à l’aise. Celui de l’Homme, du primitif et de l’Histoire. Le grand système de notre monde créé par l’Homme en somme. Mais c’est aussi celui de l’écrivain, de ce système mis en mots et qui se joue de nous, petit lecteur, jusqu’à la dernière page réelle du roman. Avec beauté et volupté. 

Quant à la forme, l’auteure parsème son récit de quelques vers, quelques lettres qui renforcent ainsi le déroulé des pensées obscures ou lumineuses de ces deux personnages. On y retrouve Rimbaud et Alfred de Vigny pour le grand plaisir de nos âmes nostalgiques. Et lorsque l’on pense clôturer ce roman, il n’en est rien. Elle nous fait le plaisir de prolonger un peu le voyage, en y recensant poèmes, lettres intimes et faits historiques distillés de ça, de là. Pour délicatement sortir de ce roman éprouvant et magnétique. 
“ Il y avait mille manière de vivre. Mille façons de rejoindre le monde. Celle de la maladie était impertinente. Pas encore dépourvue d’angoisse, mais cela viendrait. Il faudrait juste apprendre à naviguer. A lire le chaos comme un rêve. ”
C’est tout cela que j’aime dans l’écriture d’Agnès Michaux, il n’est pas uniquement question de fiction mais de profondeur, de mélancolie et d’universel. Il faut appréhender son univers car forcément avec elle, nous sortons de notre confort. Elle nous surprend, nous transporte, nous entraîne aux confins de nous-même, de la nature humaine, du bien du mal s’ils existent. Elle est surprenante, poétique, énigmatique, ambivalente et c’est tout simplement un régal.



Une lecture dans le cadre de ma sélection rentrée littéraire 2017 comprenant également : 

Le camp des autres de Thomas Vinau
Pour te perdre un peu moins de Martin Diwo
Ces rêves qu'on piétine de Sébastien Spitzer
Les jouisseurs de Sigolène Vinson
L'invention des corps de Pierre Ducrozet
La ville sans juifs de Hugo Bettauer
Le livre que je ne voulais pas écrire de Erwan Larher
Demain sera tendre de Pauline Perrignon
Et bien d'autres encore ...

Commentaires

  1. Ouh la la , il me fait très très envie !!! Magnifique chronique en tout cas !! Belle journée à toi . Bises et à bientôt , ici ou ailleurs !

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    1. Merci ma chère Nath! S'il te fait envie, préviens moi je te le rapporterais en décembre. Bises

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